L’envahissement de l’Ukraine par Poutine et la guerre sanglante qu’il y mène depuis un an déjà, font parler de plus en plus souvent d’un autre état, voisin de l’Ukraine à l’ouest, la République de Moldavie (ou la Moldavie tout court).
« La Moldavie » s’invite à la table de tout débat qui revendiquerait ne serait-ce qu’un brin d’expertise autour de l’Ukraine et de la guerre qui y fait rage. Mais avant toute autre considération, il conviendrait d’expliquer ce qui est « La Moldavie », car sans cette compréhension toute analyse des événements la concernant risque d’être faussée, et c’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer actuellement…
Commençons donc par poser les jalons au bon endroit !
Les deux Moldavies à ne pas confondre.
Oui, il en existe bel et bien deux Moldavies : l’état indépendant « La République de Moldavie » et une des trois régions historiques qui ont constitué la Roumanie actuelle, la Moldavie. Il n’est pas difficile d’en déduire qu’il fut un temps où il n’en existait qu’une seule ! Dans les deux Moldavies on parle exactement la même langue, le roumain (non, il n’existe pas de langue moldave ! même l’accent local est commun pour les deux Moldavies), on mange les mêmes plats, on porte les mêmes vêtements traditionnels, on chante les mêmes chansons et on danse sur les mêmes rythmes.
Depuis quand existe la République de Moldavie ?
Ceux qui chercheraient dans les anciens manuels de géographie ce pays ne le trouverons sans doute pas, car il est apparu sur la carte en aout 1991, suite à l’éclatement de l’URSS. La Moldavie, aujourd’hui indépendante, était une des 15 « républiques » de l’ancien empire soviétique. 32 ans d’histoire, c’est tout.
Pour lever tout voile de cette intrigue, il faudrait descendre bien dans les profondeurs de l’histoire, en prenant des raccourcis significatifs, ne vous en déplaise (nous posons des jalons pour l’instant et ne faisons pas dans la dentelle).
Nous retrouvons une Moldavie au Moyen Âge, un des états les plus puissants de la région au XV siècle. Mais au cours du XVI-ème siècle la Principauté devient tributaire de la Porte Ottomane, tout en gardant une importante autonomie locale. On parle toujours d’une seule et même Moldavie.
1812 : Premier rapt
Suite à la guerre russo-turque qui s’achève en 1812 par le traité de paix de Bucarest entre la Turque et la Russie (un jour avant l’invasion de Napoléon en Russie !) les russes partent des Balkans, mais n’oublient pas d’annexer, en rentrant, un bon bout de territoire, compris entre deux rivières, Prut et Nistru, qu’ils surnomment par la suite « Bessarabie » et en font une goubernie.
1859 : L’apparition de la Roumanie
En 1859 ce qui reste de la Principauté de la Moldavie s’unit avec la Valachie. C’est la naissance de la Roumanie.
1812-1918 : 100 ans d’occupation russe
En Bessarabie la colonisation russe fait diminuer, de 1817 à 1897, la part de la population moldave de 75% à 47% (les historiens s'accordent à dire qu'on inscrivait comme "russes" tous ceux qui comprenaient le russe, en 1918 le constat est différent, et on ne parle plus que de 25% de non-moldaves). Le taux d’alphabétisation des Roumains (Moldaves) est d’à peine 10%. La langue roumaine est progressivement exclue des usages et des actes officiels, interdite dans les écoles, dans la pratique des cultes.
1918 : La Réunification !
Le coup d’état de 1917 ébranle l’Empire Russe, le centre n’a plus de moyens, ni le temps de s’occuper des périphéries. La Bessarabie en profite, élit un parlement, déclare son indépendance le 6 février 1918, et vote, le 9 avril 1918, pour la réunification avec la Roumanie.
1918 – 1940 : La modernisation
En 1915 la population de la Bessarabie constituait 2.7 millions de personnes. Les premiers rapports sur l’état de la région effectués par les fonctionnaires de Bucarest sont accablants… La Bessarabie était une région extrêmement pauvre, avec un taux d’alphabétisation très faible, un état sanitaire déplorable… Des réformes et des investissements massifs dans tous les domaines sont effectués par la Roumanie. Vers 1940 déjà 3.8 millions de personnes habitaient dans les territoires annexés par l’URSS.
1940 : Deuxième rapt
En 1939 Staline et Hitler se partagent l’Europe et signent un pacte qui déclenchera la II-ème guerre mondiale. En gros, ils tracent une ligne sur la carte : Hitler se prend l’Europe de l’Ouest, et Staline – de l’Est. Les nouveaux alliés ne tardent pas à mettre en pratique leurs plans. Ainsi, le 28 juin 1940 l’URSS envahit la Roumanie (qui ne défend pas son territoire, ayant compris que personne ne l’aiderait, l’exemple du partage de la Pologne étant bien présent dans les mémoires) et établit sa frontière sur Nistru.
1940 – 1950 : Extermination massive de la population
Evacuation de l’administration roumaine, terreur continue du NKVD et déportations en Sibérie et au Kazakhstan (plusieurs vagues massives de 1941 à 1953), expatriation des Allemands, guerre, Holocauste, une terrible famine (1946-1947) similaire au Holodomor… En 10 ans, de 1940 à 1950, le territoire qui est aujourd’hui la République de Moldavie a perdu 1/3 de la population ! En 1950 la population de la République Soviétique Socialiste Moldave (RSSM) n’était plus que de 2,6 millions.
1950 – 1991 : Recolonisation
L’URSS se refait une santé après la guerre et après Staline. L’économie planifiée a réservé à la RSSM un rôle de « verger de l’URSS ». Dans les villes on parle d’une nouvelle forme d’industrialisation. La question « nationale » n’est pas oubliée. De nouveaux colons s’installent massivement en RSSM, surtout dans les villes, tandis que les locaux sont « repartis » vers des postes ailleurs en URSS. La langue des autochtones ne s’appelle plus « le roumain », mais « le moldave » et s’écrit en caractères cyrilliques. Ceux qui osent parler trop de la Roumanie (même si elle était « socialiste ») sont taxés de « nationalistes » et d'« antisoviétiques » et sont pénalisés par le pouvoir, plus ou moins sévèrement, selon les périodes. Vers 1965 la population est déjà comparable en nombre à celle de 1940. Vers 1991 la part de « moldaves » dans la population n’est que de 64% des 4,3 millions qui y habitent.
1991 : L’Indépendance
L’URSS éclate. Les anciennes républiques se retrouvent « indépendantes » de facto. 1918, bis repetita ? Que nenni ! Moscou a appris de son histoire…
1991 – 1992 : Guerre russo-moldave en Transnistrie
La 2-ème Réunification n’aura pas lieu. La Russie déclenche une guerre (la toute première de la nouvelle Russie post-soviétique) qui durera plus d’un an et instaure un régime séparatiste à Tiraspol. Ce modèle de guerre hybride a été reproduit à l’indigo plus tard en Géorgie et en Ukraine. En même temps une autre « autonomie » à fort potentiel déstabilisant a été créée dans le sud de la République de Moldavie, La Gagaouzie, les deux directement pilotées par Kremlin.
La situation reste gelée depuis 30 ans.
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Aujourd’hui, en 2023, Chişinău ne contrôle rien en Transnistrie où un contingent militaire russe est établi malgré toutes les résolutions de l’ONU et les accords signés avec la Russie-même. Par ailleurs, à Cobasna, un important dépôt de munitions existe toujours. Personne ne sait ni les quantités, ni quel est l’état de l’armement qui y est stocké…
Le pouvoir à Chişinău oscille depuis 30 ans entre des forces pro-européennes et des partis pro-russes.
Un récent rapport indique que seulement 2,6 millions de personnes habiteraient actuellement sur le territoire (sans la Transnistrie).
Le pays est dirigé par une force pro-européenne depuis 2021 avec une majorité parlementaire confortable (63 députés sur 101) et une présidente, Maia Sandu, élue en 2020.