« Cher Gustave,
Je t’écris pour te donner des nouvelles de... Roumanie? Moldavie?
Au fait, est-ce que toi-même, te rappelles-tu où exactement tu l’avais bâti, ton pont?
Je sais que tu n’oublieras jamais le nom d’une rivière qui porte le nom d’un pet, le Prut.
On en a beaucoup rigolé, mais…
Je veux dire, dans quel pays précisément l’as-tu bâti ?Car nous ne le savons pas…
J’ai même placé une annonce dans « Libération » :
„Jeune pays, beau et pauvre, comme il sied bien aux jeunes, cherche désespérément des repères”.
L’as-tu lue ? L’as-tu vue ?
Pas que cela soit vraiment important, mais bon, pour l’histoire de la forme...
Ou pour la forme de l’histoire...
Sinon, saches que ton pont va bien. On ne marche pas trop dessus, on le préserve.
On est des gens bien par ici, on ne sait pas trop par où on est des gens bien,
Mais on est des gens bien quand-même…
Pas comme ces insupportables parisiens !
Qui laissent ces barbares d’étrangers piétiner ta tour par millions, par millions…
Quelle insolence ! Aucun respect des traditions ou des valeurs !
Non mais,as-tu vu ? Non mais, as-tu entendu ?
Non, nous on est des gens bien !:
On a mis ton pont derrière des barbelés,
On a mis des soldats derrière les barbelés,
Et les soldats on les a mis dans des chars !
Ils ne passeront pas ! Ils ne passeront pas !
Seulement, le métal, ça rouille…
Tu comprends, la peinture coûte cher et nous, on est un pays jeune et il nous sied bien d’être pauvres...
Alors, si tu pouvais nous envoyer de l’argent pour acheter de la peinture…
Ou mieux encore : de l’argent et de la peinture.
Ou mieux encore : de l’argent, de la peinture et des peintres pour repeindre le pont.
C’est pour le bien général,
C’est pour le pont qu’on le demande,
Autrement on est des gens biens par ici, tu sais?
Amicalement,
(Car on est bons amis maintenant et tu nous dois de l’argent, n’est-ce pas?),
Ton admirateur zélé. »*
Cam aşa-i scriam eu prietenului meu, Gustave Eiffel...
